Caroline retoucheuse tireuse


Chaque été, quand la lumière et la chaleur écrasent les façades d’Arles, les touristes affluent vers les églises et couvents transformés en galeries à l’occasion des Rencontres photographiques. Devant les photos exposées, peu ont connaissance du travail effectué en amont. Caroline, retoucheuse – chromiste, , bataille dans son laboratoire depuis le mois d’avril pour livrer des tirages impeccables et offrir à nos regards le travail des photographes. Retoucheuse de formation, tireuse par passion, elle est de ces invisibles sans qui les Rencontres n’existeraient pas. Pendant que les commissaires d’exposition s’activent et que les photographes s’impatientent, elle donne chair aux œuvres, tisse le fil ténu entre l’intention de l’artiste et la réalité des cimaises.

Portrait Caroline retoucheuse - tireuse

L’œil qui voit 10 Millions de couleurs

Caroline a la modestie des artisans « Les fichiers, je les travaille très peu, mais je les améliore un peu ». Pourtant, derrière ses mains qui dansent sur la palette graphique se cache une expertise devenue rare : celle de révéler sans trahir. Une dominante verdâtre qui salit l’ensemble ? Hop, corrigée. Un contraste qui manque de punch ? Ajusté. Chaque pixel est scruté, chaque fichier disséqué à 100% de sa taille.

Page d'accueil rencontres d'arles 2025
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Deux mois d’enfer pour une éternité de beauté.

Fin avril, le chrono s’emballe. Caroline plonge dans un marathon de presque trois mois : tirages, tests, retests, ajustements, le tout pour que début juillet, quand ouvrent les Rencontres, chaque image soit parfaite sur son mur. Les formats changent comme les humeurs, « la commissaire d’expo me dit 24-30, mais en fait c’est quoi ? 30 cm de large ou 24 ? » Les papiers aussi : mat, brillant, baryté, pearl, chacun avec ses secrets, ses profils, ses caprices. Elle les connaît tous, leurs réactions, leurs faiblesses, leurs forces quand ils sortent de ses imprimantes géantes. Quand les équipes de production hésitent, elle tranche : « Celui-là sera mieux sur ce papier. » Et puis il y a ces nouvelles folies scénographiques, ces wallpapers XXL collés comme du papier peint. « 6 mètres, c’est le plus grand que j’aie fait », sourit-elle. Six mètres d’obsessions roulés avec précaution dans un tube.

Théâtre de l’art, drame de l’ego.

L’atelier n’est pas qu’un laboratoire, c’est un plateau. Les artistes y passent les commissaires inspectent, les chargés de production valident. Ou pas. Caroline orchestre ce ballet de susceptibilités et d’hésitations avec une poigne de fer. Le labo c’est son domaine et certains l’apprennent à leurs dépens : « On ne touche pas les tirages ! ça casse » Elle a vu des assistants corner des tirages signés comme des prospectus. Un postillon ruiner un tirage. Alors elle protège, elle éduque, et parfois elle déchire sans ciller quand cela ne convient pas, à elle ou à l’auteur  « C’est comme les pansements, tu réfléchis pas. ». Le labo c’est son territoire avec pour seul obsession, valoriser le travail du photographe, le révéler.

Génération selfie contre génération laboratoire.

Les jeunes photographes la désespèrent. « Ils parlent de tirages en ligne à cinq balles, ils n’ont aucune idée de ce métier qui révèle. » Cette génération Insta, née dans le tout-numérique, ignore jusqu’à l’existence de son métier. Pendant qu’elle zoome à 100% sur des fichiers, eux uploadent leurs images sur des plateformes automatisées. « Cette expertise-là, ça ne leur parle pas du tout. » Un fossé se creuse entre ceux qui pensent que l’image n’existe que sur écran et ceux qui savent qu’elle ne vit vraiment que sur papier.

L’art et la manière.

Face à cette course à la dématérialisation, Caroline incarne une résistance artistique. Chaque regard, chaque frisson face à un grand format impeccable porte une signature cachée, celle du tireur. Derrière chaque image qui accroche l’œil se cache cette main invisible, cet œil de lynx qui refuse la facilité, la standardisation, la médiocrité. Caroline n’est pas créditée sur les cartels des expositions, pourtant, sans elle, les Rencontres ne seraient qu’un festival de plus. Et certains photographes l’ont bien compris, ceux qui travaillent en duo avec elle, leur tireuse et ne font confiance qu’à son oeil aiguisé et à son goût.

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