Éditrice spécialisée dans le culinaire au sein des Éditions de La Martinière, Agathe gère près de 12 projets de livre par an. Véritable cheffe d’orchestre, une éditrice doit savoir s’adapter à tous les projets, et à toutes les personnes qui en font partie. Pour imprononçable, Agathe a accepté de répondre à quelques questions.

Bonjour Agathe ! Si tu devais définir ton métier d’éditrice, qu’aurais-tu envie de dire ?
Être éditrice, c’est avant tout avoir un rôle de coordination. Je fais en sorte que toutes les personnes qui travaillent sur le livre puissent donner un sens au projet, traduire un propos. J’aime quand les personnes impliquées dans un projet le construisent ensemble et apportent leur patte.
Les projets arrivent de façons très différentes : soit des chefs viennent nous voir, ou alors nous allons à leur rencontre avec des idées de sujets que nous aimerions traiter. Un livre culinaire, ce n’est pas seulement un chef qui veut raconter quelque chose, c’est comment nous on va traduire ce qu’il a envie de raconter, à la fois en mots et en images. L’éditrice a donc à la fois un rôle de transmission, de traduction et de coordination, c’est ce qui va créer le lien entre un univers et son lecteur.
De la même manière qu’il existe des codes en photographie culinaire, quelles sont les spécificités de l’édition dans ce domaine-là ?
Je travaille sur plein d’aspects différents, aussi bien sur l’image que sur le texte, ce qui nécessite, je le crois, une expertise assez vaste. Je dois comprendre chacun des métiers qui interviendront sur un livre illustré : photographe, cuisinier, graphiste. Chacun a des spécificités pour le culinaire. Un graphiste de beau livre n’est pas forcément le même que celui d’un livre de cuisine, car il faut que le rendu final soit pratique pour le lecteur. Un photographe, au-delà de son travail, doit comprendre comment présenter les choses.
Je travaille sur des dimensions très diverses puisque je m’occupe également des questions de fabrication : quelle forme va-t-on donner à l’objet, quel prix lui octroyer pour qu’il puisse rencontrer son public. Chaque projet est enrichissant et apporte son lot de nouveautés. Chez La Martinière, nous publions peu de livres par an, ce qui nous permet d’accorder du temps aux projets et d’avoir une réflexion aboutie sur chacun d’entre eux.
Tu as rencontré Guillaume Czerw dans le cadre d’un projet dont tu t’occupais. Comment cela s’est-il fait ?
Le tout premier livre pour lequel j’ai rencontré Guillaume, c’était le livre de pâtisserie de Nicolas Bernardé. J’ai repris le projet en cours de route, en arrivant chez La Martinière. Ce fut le premier d’une longue série. Je repense notamment à Vanille, de Christophe Adam, pour lequel nous sommes partis à La Réunion, en reportage. Cela m’a donné l’occasion de passer plus de temps avec lui, de mieux le connaître ainsi que sa façon de travailler.
D’ailleurs, comment arrives-tu à associer les photographes aux projets ?
Il y a plusieurs choses qui me permettent de faire mon choix. D’abord, il y a le fait que le photographe soit capable de faire du reportage et des recettes. Certains travaillent très bien en studio, mais sont moins habitués à sortir. Parfois, on choisit un photographe selon sa capacité à travailler sans styliste. Typiquement, Guillaume est une personne très créative, il est capable de mettre en scène des recettes sans forcément former un duo avec quelqu’un. Le choix peut aussi s’orienter en fonction de la personnalité du photographe et de celle de l’auteur. On essaye de former des équipes complètes, qui puissent avoir une belle harmonie, car les textes et les images doivent se répondre.
Quand une équipe ne s’entend pas, cela se ressent en général sur le livre, c’est perceptible.
Depuis que tu as commencé ta carrière, vois-tu le monde de l’édition culinaire évoluer ?
Oui, il y a clairement une évolution, notamment sur les centres d’intérêt. Certaines années, on est plus sur une cuisine santé et végane, avant de retourner sur des sujets comme la viande. C’est un peu caricatural, mais on perçoit ces tendances de fond qui évoluent.
Le livre de cuisine en lui-même tend de plus en plus vers le beau livre. Quand une personne a déjà beaucoup de petits livres de recettes, elle va se tourner vers des livres à forte valeur ajoutée. Il y a de plus en plus d’intérêt pour le livre documentaire, le livre riche, avec un vrai travail de recherche et d’écriture. C’est perceptible, car beaucoup d’éditeurs se mettent à en faire. Il y a un enjeu sur cet aspect-là.
Les personnes ont l’habitude aussi, notamment avec les réseaux sociaux et Instagram, de consommer de plus en plus de photos normées, ils ont un œil esthétique bien plus formé, et ils s’attendent désormais à voir plus de belles choses. On a alors des attentes plus qualitatives et normatives, bien qu’on ne soit pas obligés de les suivre.
Si tu devais évoquer avec nous un projet qui t’a marqué ?
Il y en a eu pas mal ! Si je devais choisir un projet fondateur dans ma vocation, je remonterais au tout début, alors que je n’étais encore que stagiaire. J’ai eu l’occasion de travailler sur un livre sur le saké, amusant d’ailleurs, car je ne buvais pas d’alcool ! J’ai rencontré Toshirō Kuroda, qui tenait une épicerie fine japonaise et qui travaillait avec des grands chefs. C’était une forte personnalité qui avait eu mille vies. Cela a été une rencontre très importante d’un point de vue personnel d’abord, car j’ai découvert le Japon, que je ne connaissais pas et qui est devenu un pays qui m’apporte beaucoup de choses. D’un point de vue professionnel, car cela m’a permis de me questionner sur la place que l’on accorde à l’auteur et à ce qu’on a envie de transmettre, ou de l’aider à transmettre.
On peut très bien faire un livre en essayant de mettre les gens dans des cases, ou on peut au contraire se laisser porter par la rencontre et s’en faire la traductrice pour amener les bonnes personnes à porter au mieux le message. Je crois que c’est pour moi le plus important dans mon métier, comprendre ce que les gens ont envie de dire et les accompagner en ce sens.
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